C'est à un grand exorcisme, celui du Loner, que Tonight's The Night vous convie.
En 1972, Neil Young vire à grand coup de pompes dans le c** son guitariste fétiche de Crazy Horse, Danny Whitten, pour cause de trop grande addiction à l'héroïne. Pour le Loner, qui connaît l' "aiguille et les ravages qu'elle fait" (The Needle And The Damage Done, album Harvest), drogue et musique ne sont tout simplement pas compatibles. Avec 200 dollars, Whitten est congédié...et est retrouvé mort, raide, overdosé, avec les 200 dollars changés en héro dans les veines, quelques jours plus tard.
Pour Neil Young, le choc, vous le pensez bien, sera grand. Culpabilisant à mort, le Loner plonge dans une déprime totale, noire comme la nuit. Il va se mettre à composer plusieurs titres d'une noirceur absolue, pour faire partager à tout le monde son gros malheur. Il reprendra même à sa façon le Lady Jane des Rolling Stones, pour en faire une chanson empruntée (Borrowed Tune). Young se disant "trop carbonisé pour faire une chanson à lui"... Comble de désespoir, Bruce Berry, fidèle roadie de Neil Young, décède, d'overdose aussi. Décidément.
Dans le morceau-titre décliné en deux parties qui ouvrent et ferment le disque, Neil Young déclame : he used to pick up my guitar, en parlant de Berry, qui aura donc le grand honneur d'être le héros du premier couplet de la chanson. Whiten est présent sur le disque par l'ajout du titre live Come On Baby Let's Go Downtown , où on entend le défunté chanter et jouer avec le Loner.

Mais, mis à part ces deux exemples, Berry et Whitten n'apparaîtront plus dans les paroles des chansons du disque. Un disque contenant 12 chansons, pour exactement 45 minutes et zéro secondes, bravo le timing.
Neil Young s'entoure de braves musiciens : ceux de Crazy Horse, à savoir Ralph Molina, Ben Keith et Billy Talbot. Il s'entoure aussi du fameux Nils Lofgren, pianiste/guitariste d'exception. Dans le livret du CD, une photo, montrant le groupe en action, paraît un peu morbide. Les noms sont placés en dessous de chaque musicien, et le nom de Danny Whitten y est aussi indiqué, sous un emplacement vide...
Par moments (Speakin' Out , Albuquerque, Tired Eyes , Mellow My Mind), le Loner chante faux. Non pas par émotion (quoique...), mais sans doute du au fait que le Jack Daniel's devait couler à flots des robinets du studio...Car, bourrés, les musiciens l'étaient sans aucun doute souvent. Mais quoi qu'il en soit, ils étaient pile poil dans le bon état, car si cette musique sonne un peu désaccordée, en même temps, elle sonne vrai. C'est indéniable.
Barbiche à la Charles Manson, look à la Miami Vice, costume de lin froissé, lunettes noires, cheveux longs, pensées noires comme le corbeau...le Loner fait peur, sur cette pochette.

Sa musique aussi : enregistré en 1973, le disque ne sortira pourtant qu'en 1975, tant la maison de disques, Warner/Reprise, sera effrayée par le coté noir, déprimant, violent de ce disque sans concessions. Entre temps, Neil aura enregistré et sorti On The Beach, à peine moins sombre. Et ensuite, reviendra à un rock plus lumineux avec le somptueux Zuma, et son non moins somptueux Cortez The Killer.
Mais en attendant, Neil Young se réconcilie avec ses vieux démons, et fait de Tonight's The Night son disque le plus pur et personnel. Son meilleur, aussi. Son préféré. Et le préféré de la critique. Dernière précision : le Loner lui-même l'à dit : à votre place, je n'écouterai pas ce disque le matin au breakfast.